Branle-bas de combat autour de l’Ecole militaire. Les 13 hectares que possède le ministère de la défense dans le 7e arrondissement de Paris font l’objet d’un projet d’aménagement et de construction pour accueillir l’état-major de l’armée de terre (EMAT), qui se trouve à l’étroit boulevard Saint-Germain. De quoi aiguiser le ressentiment et l’inquiétude de plusieurs associations à l’égard de cette emprise militaire qui est aussi un des grands monuments historiques de la capitale, conçu par l’architecte Jacques-Ange Gabriel en 1750. De nombreux amis du patrimoine font le siège de l’Ecole militaire : SOS Paris, Saxe-Breteuil Aménagement, L’Ecole militaire lieu de mémoire, les Amis du Champ- de-Mars… Leurs demandes : une réhabilitation du site ; son ouverture au public ; la restitution de la perspective historique entre la place de Fontenoy et le Trocadéro ; le recentrage sur sa vocation d’école. Autant de revendications anciennes qui se voient balayées par la décision d’implanter l’EMAT dans cette enceinte. Contre ce projet, les associations multiplient les courriers au maire de Paris, à la ministre de la défense, au président de la République. Sans succès. Leur opposition est d’autant plus vive que, pour accueillir l’EMAT, l’armée prévoit de construire un bâtiment moderne à proximité de l’oeuvre de Gabriel. Un immeuble de bureaux de 12 500 m2, qui prendrait la place du long hangar construit à la fin du XIXe siècle pour abriter deux manèges. L’armée se veut rassurante : « La hauteur de l’immeuble ne dépassera pas celle des bâtiments voisins (deux ou trois étages). Les matériaux et le style devront tenir compte des monuments historiques voisins », indique le colonel Philippe Schmitt, chargé de communication auprès du gouverneur militaire de Paris. Un nouveau manège devrait aussi être édifié à côté pour abriter les galops de la section équestre et de ses quatre-vingt-sept chevaux. Le budget total de l’opération est estimé à 75 millions d’euros. « Nous sommes très inquiets : l’armée construit à l’économie, estime Christine Fabre, de SOS Paris. Nous ne voulons ni d’un pastiche, ni d’un bâtiment ultra-contemporain. Nous demandons un débat public. L’armée construit à moins de 500 m d’un monument historique et personne n’est consulté. C’est hallucinant ! » Qui réalisera ces travaux à haute tension ? Le ministère de la défense a lancé un appel d’offres européen le 29 novembre 2005. Un jury a retenu en janvier quatre finalistes parmi les soixante-quatorze dossiers reçus. Leurs noms, peu médiatisés par l’armée, sont pourtant de nature à rassurer les amateurs d’architecture comme les amoureux du patrimoine. On y trouve Antoine Stinco, maître d’oeuvre des subtiles renaissances du Musée du Jeu de paume à Paris, de celui des beaux-arts à Angers et de la Maison de la culture de Grenoble. Patrick Berger, lauréat 2004 du Grand Prix national d’architecture, artisan discret et estimé du viaduc des arts et des serres du parc André-Citroën à Paris. L’agence Valode et Pistre, auteure de réalisations remarquées comme le CAPC à Bordeaux ou l’usine L’Oréal d’Aulnay, passée depuis à des projets à plus grande échelle. Philippe Prost, enfin, architecte du patrimoine et spécialiste de l’architecture militaire. Un jury doit se réunir, le 22 juin, pour désigner le vainqueur. Les associations espèrent toutefois stopper le projet avant sa mise en chantier. Elles répètent qu’il est absurde d’implanter en centre-ville un état-major, soumis à de lourds impératifs de secret et d’intendance. UN EMPILEMENT D’USAGES « L’Ecole militaire doit rester une école », martèle Claude Trabuc, le président de Lieu de mémoire, qui défend l’implantation ici d’une école européenne de défense dont l’étude est en cours. « On peut installer l’EMAT au fort de Vincennes ou face à la caserne Balard, même si les officiers préfèrent le 7e arrondissement. Nous demandons un gel de ce projet et un concours d’idées pour rénover et ouvrir le site. » Celui-ci a déjà beaucoup changé depuis la construction par Gabriel d’une école de guerre pour les fils de la noblesse désargentée, à la demande de Louis XV. Après avoir été convertie en caserne de 1788 à 1878, l’école a retrouvé sa fonction d’enseignement – elle forme l’élite de l’armée – mais ce n’est plus sa seule vocation. Le site héberge une myriade de services et la résidence du chef d’état-major des armées. « Il utilise la cour d’honneur pour des cérémonies officielles. C’est ce qui empêche le passage public », explique le colonel Schmitt. Trois mille personnes utilisent les infrastructures chaque jour et cinq cents autres s’y ajouteront si l’EMAT s’y installe. « Avec ce nouveau programme, l’école serait partagée en deux : l’intendance et l’état-major dans la partie est ; les activités d’enseignement dans la moitié ouest », précise le colonel Schmitt. Conséquence de cet empilement d’usages, une série d’ailes, d’appentis et d’extensions souvent médiocres ont été ajoutés au XIXe et au XXe siècle. De l’extérieur, le site semble une forteresse. A l’intérieur, l’impression de fouillis domine. Pour tenter d’y mettre en peu d’ordre, l’école fait l’objet d’un plan général d’entretien et de réhabilitation, auquel participe le ministère de la culture à hauteur de 300 000 euros par an pour l’entretien du patrimoine. La rénovation des douves a déjà commencé. La longue aile XIXe située sur l’avenue Duquesne doit faire l’objet d’une réhabilitation de sa toiture et de ses façades. Ce n’est pas exactement ce que demandent les associations. « Dans n’importe quelle autre capitale, un patrimoine comme celui de Gabriel serait mis en valeur au lieu d’être dérobé aux yeux des Parisiens, se scandalise Pierre Le Roux, président de Saxe-Breteuil Aménagement. Tous les bâtiments ajoutés devraient être détruits pour restituer l’état d’origine. Il faut au minimum supprimer ce qui empêche de voir la rotonde et le château. » Reste à convaincre l’armée de faire partir en fumée tous ces précieux mètres carrés.